En retraçant les origines de la colonie de bourbons, nous avons mentionné que des groupes de pirates de diverses nationalités vinrent ce fondre dans la population de l’île. Ainsi, en novembre 1695, un navire anglais vint à Saint Denis en débarquait un noyau de 70, (au nombre de 25 environs) , d’anglais et de hollandais, dont le capitaine voulait probablement se débarrasser. Il venait de piller dans la mer des Indes un navire chargé de richesse appartenant au grand mongol et ils étaient chargés d’écus. Ainsi furent-ils bien reçus, installés chez l’habitant, plusieurs s’y marièrent et se fixèrent dans le pays. (En 1735 il y avait 135 forbans mariés à la Réunion)
Des faits semblables durs se renouvelaient fréquemment dans ses mers, et l’histoire de ces irréguliers, nommé aussi forbans ou flibustiers, remplit les annales maritimes de la fin du XVIIe siècle et du commencement du XVIIIe. Appartenant à toutes les nations qui naviguaient, notamment portugais, anglais, hollandais et français, il formait une sorte de corporation de pillage et de commerce faisant profession d’écumer la mer Rouge et le golfe d’Aden. Montés en guerre et en marchandises, à l’instar des grandes compagnies, ils y voyaient des navires armés chargés de capturer tous ceux qu’il rencontrait en faisant leur trafic. Courir sus à tout bâtiment qui n’était pas de la nation était du reste l’usage admis par tous les marins d’alors : c’est celui que suivait, en 1642, notre François Cauche allant pirater dans la mer Rouge avec le Saint-Laurent. Ainsi organisés, enrichis par leurs pillages, hardis et bons marins, ces pirates constituaient une puissance maritime redoutable, que des gouvernements européens tels que les Suédois et les Russes sous Charles XII et Pierre Le Grand, songèrent quelquefois à utiliser à leur profit pour leurs conquêtes aux Indes, mais sans jamais avoir donné de suite un pareil projet
Ainsi, dès le milieu du XVIIe siècle, les pirates abondaient dans l’océan Indien et particulièrement dans les parages de Madagascar. Ils y eurent surtout le champ libre après l’abandon de cette île par les Français, et Fort Dauphin et Sainte-Marie devint même leurs principaux ports d’attache sur ses côtes. Beaucoup d’entre eux eurent donc à Madagascar, à cette époque des histoires souvent curieuses, parmi lesquels on peut citer celle des Forbans Français Misson et La Buse. Voici le premier résumé dans ses grandes lignes.
Misson, cadet d’une bonne famille de Provence, s’embarqua d’abord pour une croisière en Méditerranée sur la Victoire, que commandait un sien parent, Monsieur de Forbans. À Rome il rencontra sous la soutane d’un prêtre un aventurier de sa trempe nommée Caraccioli, avec lequel il s’associa pour des projets futurs et qui conduisit à bord. Ils partirent ainsi pour les Antilles où, Monsieur de Forbans ayant été tué dans un combat contre des pirates à la Martinique, Misson prit le commandement de la victoire et fait de Caraccioli son lieutenant ainsi devenu capitaine corsaire, Misson revient vers le cap de Bonne-Espérance, où il capture un navire anglais de 32 canons ; il enrôle à son bord les prisonniers, donne à Caraccioli le commandement du navire de prise qui est baptisée le Bijou, et les deux bâtiments naviguant de concert se dirige vers l’île d’Anjouan. Là, la reine du pays était en guerre avec son voisin, le souverain de Moheli, et Misson résolue de s’enrichir aux dépens des deux plaideurs.
Il excita d’abord les hostilités. Puis offrit son appui à la reine d’Anjouan dont il épousa la sœur et Caraccioli la fille. Dès lors avec ses deux vaisseaux et une troupe Anjouanaise, il partit attaquer les Moheliens qui furent battus et contraints de demander la paix. En reconnaissance de ce service Misson obtint de la reine d’Anjouan un corps de 300 hommes qu’il transporta en un point de la côte nord-est de Madagascar déjà visité par lui, et où il avait dessin d’établir une ville, ce point semble avoir été Tintingue. Avec ses 300 travailleurs, mission commença donc la construction de sa ville et d’un fortin qu’il appelle à Libertalia. Puis pendant l’achèvement des travaux il partit en chasse avec la Victoire sur les côtes de Mozambique et captura au large de Quiloa, après une terrible lutte un grand navire portugais de 50 canons portants 300 hommes d’équipage, 5 millions d’or monnayés et de riches marchandises. En revenant dans les eaux de Madagascar avec son navire de prise, Misson rencontra le fameux pirate hollandais Tom Tew. Mais les loups ne se mangent pas entre, et les deux aventuriers étaient au contraire bien fait pour s’entendre. En effet ils s’allièrent. Tew vint à Libertalia avec ses prises personnelles, grossissant ainsi le trésor de guerre de la petite colonie
Mission désireux de peupler sa cité d’esclaves noirs étrangers au pays envoya Tew aussitôt en croisière avec le Bijou sur les côtes d’Angola, pendant que lui-même resté à Libertalia pour pousser les travaux d’installation. Il fit faire un quai, un embryon de bassin, fit ensemencer les champs environnants, etc. Tew de son côté revint avec une prise de 140 esclaves, autant hommes que femmes et enfants. Misson fit alors construire deux sloops de 80 tonneaux et institua une école de navigation pour instruire tout ce monde dans la conduite à la mer. Puis, ayant ainsi formé sa réserve de bons matelots, il partit en croisière dans la mer Rouge avec Tew, razziant les convois de pèlerins qui allaient à la Mecque et faisait des prises considérables. Cependant Libertalia été fortifié de plusieurs batteries qui la rendaient inviolable par la mer et des lois organiques s’élaborèrent dans cette république de forbans. Une constitution fut votée au suffrage restreint : le chef, élu pour trois ans, portait le titre de Conservateur ; il était assisté d’un grand amiral et d’un secrétaire d’État. Misson, nommé premier Conservateur, avait créé une véritable colonie indépendante ! Malheureusement quelques temps après, la Victoire se perdit dans une croisière sur les côtes de l’île : le grand amiral Tew ou les quelques hommes seulement échappaient au naufrage bien plus, ayant pu prendre terre (en un point qui n’est pas déterminé) et rejoint par Misson avec les deux sloops, celui-ci fit part à son tour de l’anéantissement complet de la colonie de Libertalia : après le départ de la victoire et pendant une absence simultanée du Bijou, raconta-t-il, les indigènes s’étaient rués sur l’établissement, avaient tout ravagé et massacré et Caraccioli même avait péri dans le combat. Les deux associés ruinés par ce double désastre se séparaient alors ; Tew put gagner l’Amérique sur l’un des deux sloop, mais trouva bientôt la mort dans une nouvelle entreprise de piraterie, et Misson péris en mer sur le second sloop en faisant voile vers la Guinée.
Ainsi se termine l’extraordinaire aventure du pirate français Misson.
Une seconde histoire curieuse fut encore celle d’un autre pirate français nommé Le Vasseur, dit la buse, originaire de Calais qui avait établi son repère à l’île Sainte-Marie. En voici quelques traits :
Au mois d’avril 1721, un grand navire portugais était mouillé dans la rade de Saint-Denis de Bourbon : il y avait à son bord le vice roide Goa (comte d’Ericeira), l’archevêque, et diverses richesses. Soudain paraît le navire corsaire le Victorieux, armée de 50 canons et commandés par La Buse, qui pique droit sur le portugais et s’en empare avant même que l’équipage, resté sans défiance en ce mouillage, est eu le temps de revenir de sa surprise. Le vice-roi et l’archevêque, momentanément à terre chez le gouverneur de l’île, échappèrent à la rançon, mais le pirate emmena son butin.
La même année, la buse osait même s’attaquer à la duchesse de Noailles, navire de la compagnie des années, et s’en emparer. Mais ces derniers crimes ne devaient pas lui être pardonnés : prit en 1730, il eut son procès fait à Saint-Denis et il fut pendu le 11 juillet sa capture avait été opérée dans les parages de Fort dauphin par le vaisseau du roi la Méduse, capitaine Lhermitte, sorte de stationnaires venus dans ces eaux pour surveiller la navigation entre Bourbon et la cote de Madagascar, où se faisait alors une traite active.
C’est qu’à cette époque, les grandes nations européennes cherchaient depuis longtemps à enrayer le brigandage de ces pirates en armant des flottes de guerre pour leur courir sus.
En France, des 1695, une escadre de cinq vaisseaux, sous les ordres de Monsieur de Serquigny, était parti de Port-Louis (Lorient) dans ce but. Elle visita les Comores, allant dans l’Inde, et au retour passa Maurice et à Bourbons (juillet 1696). En ce dernier. Elle trouva la colonie de flibustiers qu’il y avait déposé huit mois auparavant nous l’avons vu le navire anglais : ils étaient occupés à construire une frégate de course de 80 tonneaux. L’amiral embaucha quelques forbans à son bord, toléra les autres à terre comme commerçants, mais il défendit qu’on leur permit de reprendre la mer sur des bâtiments corsaires : il brûla même leur frégate en construction.
L’Angleterre aussi de 1699 à 1705, envoya trois flottes dans l’océan Indien pour réprimer la piraterie. La seconde, aux ordres du commodore Littleton, vint en 1703 à Sainte-Marie offrirent le pardon au pirate anglais qui voudrait l’accepter ; mais à son approche il s’était réfugié dans la grande terre.(C’est en effet dans l’île de Sainte-Marie que les pirates, dès qu’ils furent pourchassés, vers se concentrer. Là, la proximité de la côte de la grande terre leur permettait de faire filer rapidement leur richesse en un lieu sûr en cas d’attaque. Toute la côte malgache située en face, de Foulpointe à Sainte-Marie, se peupla ainsi d’Européens qui se regroupèrent par nationalités. C’était là que les vaisseaux pirates venaient recruter leurs équipages. L’île de Sainte-Marie à conserver trace de cette période de son histoire par le nom « d’île aux forbans » qui désignent encore de nos jours un petit îlot situé au fond du port actuel.)
En 1721, une autre escadre anglaise, sous les ordres du commodore Matthew, fut renvoyée contre les mêmes pirates. Elle visita la pointe à Larrée et Sainte-Marie ; mais les forbans brûlèrent leur vaisseau et se dispersèrent en face, comme ils avaient fait en 1703.
A partir de 1705, cependant, beaucoup de ces pirates avaient sollicité leur pardon pour se fixer légalement dans les pays où ils se trouvaient, car ils étaient de plus en plus traqués et le métier était devenu mauvais. En 1711 un édit de Louis XIV avait même interdit tout commerce avec eux et il ne restait plus à Sainte-Marie et environ que trois à quatre cents Flibustiers avec deux navires seulement. Aussi le capitaine La merveille, au retour de son voyage de 1710 dans les eaux de Madagascar, pouvait-il écrire déjà : que ces forbans n’avaient plus qu’un désir, celui de jouer en paix de la richesse, et qu’une colonisation de Sainte-Marie reprise par eux sous l’autorité du nom français réussirait fort bien. Enfin l’extrême délai de pardon consenti par l’inventaire fut fixé à 1719.
Vers cette époque les derniers pirates cherchaient donc réellement une nation qui voulut bien les recevoir dans son sein, et surtout sous son pavillon. Plusieurs tentatives faites dans ce but auprès du roi de Suède échouèrent en 1716, de même auprès du tsar de Russie. Mais le plus curieux essai de ce genre, bien qui n’est jamais eu qu’un caractère d’escroquerie, fut sans contredit celui que tentèrent deux aventuriers français Chabanais et Langanerie
Le premier nommé Joseph Joumard, mais se faisant appeler Prince de Chabanais, duc de Madagascar et autres lieux, était un aigrefin en rupture de Bastille ; l’autre, authentique marquis de Langanerie, était un ancien officier déserteur perdu par le jeu, condamné à mort par contumace. Ces deux coquins s’étant rencontrés en Europe en 1715, se firent passer pour de grands chefs de Madagascar, élu par une armée de 100 000 flibustiers riches à millions. Ils offrirent le concours de cette force importante successivement à la Hollande, puis au Danemark, sous condition d’être reconnu par ses nations. Évincés, ils se retournèrent vers le Grand Turc qui les éconduisit également. Après deux ans d’intrigue de ce genre, ils furent enfin démasqués : Langanerie fut emprisonné à Vienne en 1717 et y mourut ; son compagnon sombra dans le silence.
C’est sur ce fait historique, bien qu’un peu funambulesque dans tous les comptes de brigands, que se termine l’histoire héroïque de la piraterie à Madagascar. Cette institution mourut peu après de sa belle mort, sans plus ; les derniers forbans, retiré à Bourbons, furent amnistiés en 1724 et autorisé à rentrer en Europe à bord du Royal Philippe.
La buse ce dernier Mohican de la flibuste, fut pris en 1730 alors que peut-être et n’exerçait plus la piraterie mais seulement la traite, parce qu’il n’avait administrativement pas su ou voulu profiter de ce pardon de 1724.
(Histoire de Misson racontée par le capitaine de Villars, L. Fournier, Paris, 1912, p. 98-101, d’après Alfred Grandidier, tome 3)