LE MYTHE DE LIBERTALIA ET SAILLANS DANS LE CANARD ENCHAÎNÉ

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LIBERTALIA, C’EST DANS LA DRÔME

La libre communauté de Libertalia a-t-elle vraiment existé ? Dans un livre méconnu (Libertalia, une utopie pirate), Daniel Defoe, l’inventeur de l’immortel Robinson Crusoé, a raconté à sa manière cette histoire aux relents de légende sur laquelle revient David Graeber dans un livre érudit et stimulant (Les Pirates des Lumières). Oui, à la fin du XVIIe siècle, « il y eut indubitablement des colonies pirates sur la côte malgache », lesquelles furent le « lieu d’expériences sociales radicales ». À cette époque où le despotisme domine en Europe, les pirates créent de petites républiques. Les décisions y sont prises en assemblées, et les biens également répartis. Aujourd’hui encore vivent sur cette bande côtière de 700 kilomètres les Betsimisarakas, qui « ont la réputation d’être le peuple le plus obstinément égalitaire de Madagascar ».


Pourquoi, en racontant la récente histoire de Saillans, petit village de 1300 habitants dans la Drôme, la journaliste Maud Dugrand évoque-t-elle brièvement Libertalia ? (La Petite République de Saillans, éditions du Rouergue). Parce qu’il y a un air de famille. En 2012, à deux ans des élections municipales, des habitants de Saillans se mobilisent si énergiquement contre un aberrant projet de supermarché Casino que la chaîne de grande distribution y renonce. Cette victoire ouvre les yeux aux habitants sur « ces élus tout-puissants méprisant publiquement leur opposition ». Ils constituent une « liste citoyenne » qui emporte une victoire « aussi radicale qu’inattendue ». Tout reste à inventer.


Comment échapper à la verticalité du pouvoir ? Comment gérer les frottements entre les gens du coin, les « natifs », et les « néoruraux », « venus d’ailleurs » ? En faisant en sorte que le conseil municipal ne puisse plus décider de tout sans concertation. Créer un « Conseil des sages » administré par des citoyens qui ne sont pas élus. Poser pour principe : « Si on vit ici, on est saillanson. » Mettre à la tête de la mairie un binôme – une ancienne directrice d’école et un homme connu pour ses talents de médiateur. Répartir plus équitablement les indemnités. S’appuyer sur les outils de l’éducation populaire pour « apprendre à se parler et à travailler ensemble, tenter de repérer nos vieux réflexes et nos constructions profondes ».


Évidemment, il y aura des critiques sur la gestion du dossier de l’eau, des polémiques sur les yourtes, la naissance d’une opposition et aussi des couacs et des frustrations. Mais qu’importe, dit Maud Dugrand, laquelle, native de Saillans, raconte tout cela de l’intérieur avec tact et sans langue de bois, juste la bonne distance. Ici, au moins, la démocratie échappe au modèle dépassé du « premier de cordée ».


Deux mois avant ces municipales où tout le monde s’affiche écolo, voilà un rappel très salutaire : un coup de peinture verte ne suffit pas.

Jean-Luc Porquet

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