Novembre 1695, un navire forban fait escale à Bourbon et y débarque " 70 flibustiers cousus d'or et d'argent ". Il s'agit du célèbre pirate Henry Avery.
Avery commande le vaisseau de guerre le Francy, autrefois le Charles II, son équipage s’est mutiné à la Corogne en Espagne. Ces marins n’avaient plus touché de solde depuis huit mois et s’enfuirent avec leur navire de ce port le 7 mai 1694 sous le commandement de leur second, Henry Every. En juin 1695, Avery qui est devenu un redoutable pirate se trouve avec son équipage de 170 hommes, dont 104 Anglais, 14 Danois pris dans le golfe de Guinée et 52 Français, en mer rouge.
Le Francy est rejoint par les navires pirates :
– le Dolphin commandé par capitaine Richard Want,
– le Portsmouth Adventure, capitaine Joseph Faro,
– le Susanna de Boston commandé par Thomas Wake,
– le brigantin The Pearl, capitaine William Mayes et
– le sloop The Amity capitaine Thomas Tew.
Les pirates réunies décident d’attaquer un convoi de vingt-cinq navires qui devait sortir de Moka pour retourner aux Indes. Every prend d’abord en chasse le plus petit, Le Fateh Mohamed, qui n’oppose qu’une faible résistance. Il n’a tiré que trois coups de canon : les flibustiers prennent 50 000 ou 60 000 livres en argent et en or dans ce vaisseau. Le second, beaucoup plus imposant de taille, Le Gang-I-Sawai, ne se rend qu’après trois heures de combat.
La prise dépasse de loin leurs rêves les plus fous. C’était, parait-il, le plus grand vaisseau de tout l’empire du Grand Moghol. Il transportait de nombreux passagers revenant du pèlerinage à La Mecque, dont plusieurs hauts dignitaires de la cour du grand Moghol et un certain nombre de femmes et de jeunes filles. «Ils prirent dans ce vaisseau tellement d’or et d’argent en monnaie et en vaisselle qu’avec ce qu’ils avaient pris avant, la part de chaque homme monta à 1000 livres. » Après avoir transbordé ce trésor, ils laissèrent aller leur prise.
Nos heureux pirates étaient maintenant suffisamment riches pour vivre dans l’abondance le reste de leurs jours. Cependant, ils ne parviennent pas à se mettre d’accord sur leur lieu de retraite, Every et ses hommes voulant aller à l’île de New Providence, aux Bahamas ; mais ni les Danois et encore moins les Français ne voulaient être débarqués en pays ennemis. Les Français proposent de descendre à Cayenne : ce que refuse catégoriquement Every. Finalement, pour éviter la mutinerie, ce sera l’île Bourbon. On y arrive vers novembre 1695 où « tous les Danois et tous les Français furent mis à terre avec leur part de butin s’élevant à 970 livres par hommes ».
Environ 66 flibustiers débarquent. C’est Jean-Baptiste Bidon qui prit sur lui de les admettre dans la colonie, ce sans consulter « les six élus habitants du quartier St-Paul ». En conséquence, les flibustiers restèrent cantonnés dans les quartiers de Sainte-Suzanne et de Saint-Denis et commencèrent à y faire couler leur or. Certains des pirates laissés à Bourbon par Avery décidèrent de s’installer dans l’île. Le Directoire n’a ni les moyens et ni la volonté de s’opposer à leurs l’installation dans l’île. Le manque d’armement et l’absence d’une véritable armée expliquent sans doute que tous ces hommes aient pu faire souche à Bourbon. Parmi les marins qui se sont installés pour de bon dans l’île, nous retrouvons :
– Victor Riverain.
– Etienne Le Baillif.
– François Boucher.
– Jacques Huet.
– Jacques Picard.
– Turpin.
– Claude Ruelle.
– René Le Pontho.
– Henri Grimaud.
– Jan Van Hessche.
– François Garnier.
– Antoine Brulot.
– François Aubert…
Quand à ceux débarqués de force, ils s’attelèrent à la construction d’un bâtiment pour continuer leur sinistre carrière.
1693, l’île Bourbon est au plus mal, une île totalement abandonnée par la France. Car suite au naufrage, le 31 décembre 1689, de son vaisseau, le Saint-Jean Baptiste, au large de l’île, la Compagnie des Indes avait décidé de ne plus desservir Bourbon. Les forbans font escale ouvertement, sachant les préférences des colons pour les cotonnades et l’arack de l’Inde aux tissus et eau de vie de la Compagnie.Ayant tenté de faire preuve d’autorité, le gouverneur de Bourbon Michel Firelin est pris à partie par les colons irascibles.
En 1700, un esclave vaut 300 livres, une femme esclave 200 livres et un négrillon 150 livres. (1 livre de 1700 vaut environ 0.650 grammes d’or soit environ 200 grammes pour l’homme, à 30€ le gramme actuel cela fait 6 000€, 4 000€ et 3 000€)
8 avril 1706, l’ escadre du baron de Pallières, quatre navires arrive à Bourbon. Le commandant la Houssaye arrive en rade de Saint-Paul, a bord de l’Aurore, navire de 44 canons et 210 hommes d’équipage. C’est le quatrième séjour de la Houssaye à Bourbon. Deux autres navires l’Agréable et la Mutine mouillent en rade de Saint-Paul, le quatrième le « Saint-Louis » aborde à Saint-Denis.
9 avril 1706, un autre navire aborde à Saint-Paul, un énorme vaisseau de 70 canons et 350 hommes d’équipage ! Un navire pirate. Il a besoin de rafraîchissements. Le gouverneur Jean-Baptiste de Villers, quitte Saint-Denis pour se rendre à Saint-Paul en compagnie de Jean de Feuilley et règle très vite les besoins du navire forban. Il lui fournit tout ce dont il a besoin et reçoit en contrepartie un paiement plus que substantiel. Presque tous les pirates se trouvent à terre, et, devant une telle puissance de feu et d’argent, qu’est-ce que le gouverneur peut leur refuser.
1709, Bourbon compte 387 esclaves pour une population totale de 894 habitants, chiffre du recensement commencé en 1708 et achevé en 1709.
L’île est toujours fréquentée par les corsaires, Bourbon sert à blanchir l’argent provenant des rapines des forbans. Le trafic est en effet fructueux avec les flibustiers qui fond l’aiguade discrètement dans les eaux bourdonnaises.
12 novembre 1720, un vaisseau Anglais le Crooker, arrive à Saint-Denis. Le capitaine Baker se dit chargé d’une mission par le pirate Thomas Congdom négocier l’amnistie offerte par le Roi de France aux forbans pour lui et son équipage, en effet le pirate Congdom après la prise d’un vaisseau arabe qui lui rapporte 1,3 millions de roupies, décide de prendre sa retraite.
Baker précise, devant le Conseil provincial réuni par le gouverneur de Bourbon Joseph de Beauvollier de Courchant, qu’il amènerait en sus 60 esclaves de Guinée et qu’en cas de refus, il attaquerait Bourbon.
Le Crooker repart le 30 novembre 1720 avec la réponse du Conseil provincial, Bourbon accepte d’accueillir les forbans. En retour, les pirates doivent déposer » leurs armes et munitions de guerre et renoncer pour toujours à leur désordre, de garder fidélité au Roy de France dont ils se reconnaissent les sujets « . Moyennant cela, ils pourront se retirer » sous le gouvernement de Bourbon où ils jouiront des mêmes avantages, droits et prérogatives des habitants de cette isle sans distinction « .
De Courchant veut transformer cette calamité en aubaine. Il organise les conditions d’accueil des forbans chez l’habitant contre rémunération. » Chaque forban devra donner 15 piastres pour son logement et sa nourriture ; s’il a un noir, il devra donner 5 écus de plus. « L’habitant qui loge un ou plusieurs forbans
leur fournira à chacun un lit convenable garni au moins d’un bon matelas, d’un oreiller avec sa souille et d’une couverture ; ces lits doivent être dans une caze ou de bois ou de feuilles construite de manière qu’elle soit pour le moins distinguée de ce qui se nomme hangar ou ajoupa et que les injures du temps ne le puissent pénétrer « .
Chacun redoute l’arrivée de 135 pirates sanguinaires sur l’île et les volontaires pour l’accueil son peu nombreux. Le gouverneur est obligé, le 22 janvier 1721, de désigner autoritairement 36 habitants qui recevront les 135 pirates.
Finalement, à leur arrivée début février 1721, ils ne sont que 32, dont le fameux Congdom. La vue du faible nombre d’hommes et la profusion d’or changera l’attitude de la population. Les pirates seront accueillis à bras ouvert. Tout cet or circulant dans l’île crée une économie artificielle où les prix deviennent
extravagants. Cet exemple est révélateur de l’intégration réussie des forbans dans l’île. Il faut dire que ce sont bien souvent eux qui introduisent du numéraire à Bourbon, soit en s’installant fortune faite, soit en achetant des vivres ou des armes aux habitants.
Congdom partira pour la France en novembre 1722, sur la Vierge de la Grâce. 22 janvier 1721. Le gouverneur Joseph de Beauvollier de Courchant désigne autoritairement 36 habitants pour recevoir 135 pirates. Les pirates ont négociés le 12 novembre 1720, leur installation à Bourbon suite à une amnistie offerte par le Roi de France.
Finalement, à leur arrivée début février 1721, ils ne sont que 32, dont le fameux Congdom. La vue du faible nombre d’hommes et la profusion d’or change l’attitude de la population. Les pirates sont accueillis à bras ouvert. Tout cet or circulant dans l’île crée une économie artificielle où les prix deviennent extravagants. Cet exemple est révélateur de l’intégration réussie des forbans dans l’île. Il faut dire que ce sont bien souvent eux qui introduisent du numéraire à Bourbon, soit en s’installant fortune faite, soit en achetant des vivres ou des armes aux habitants.
20 avril 1721. Le navire la Vierge du Cap ‘ Virgen de Cabo ‘ fait escale à Bourbon. Ce navire de 800 tonneaux avec ses 70 pièces de canons, navire amiral de la flotte Portugaise venant de Goa ( Malabar ) voguait vers Lisbonne ( Portugal ). Pris dans une tempête, le vaisseau portugais est contraint de relâcher dans le port de Saint-Denis pour réparer ses très importantes avaries : sa mature et son gouvernail sont endommagés, sa coque a souffert, il ne lui reste plus qu »une vingtaine de canons seulement, les autres, près d’une cinquantaine, sont passés par dessus bord pendant la tempête ou sont inutilisables.
Le navire transporte une très riche cargaison d’or, d’épices, d’étoffes, de bois précieux, des pierres fines, des bijoux d’or ou d’argent… ainsi que des passagers de marque. En effet, Luís Carlos Inácio Xavier de Meneses, comte d’Ericeira, vice-roi des Indes est à bord, ainsi que Dom Sebastian de Andrado, archevêque de Goa.
La Vierge du Cap mouille donc à quelques encablures dans la rade de Saint-Denis, arrimée fermement à ses 2 ancres massives. Une chaloupe est mise à la mer et le Gouverneur de Goa descend à terre, invité à dîner par le Gouverneur de Bourbon Joseph de Beauvollier de Courchant.
Pendant les jours qui suivent, l’équipage et les charpentiers marins s’affairent à réparer le navire. Les charpentiers découpent des pièces de bois afin de consolider la structure de la coque et le gouvernail, les gréements du navire ayant également soufferts, les matelots s’occupent activement à la réparation des voilures, le cordage usé est changé et les mâts endommagés sont remplacés par du bois transporté depuis l’île. A ce moment là, Le navire est un véritable enchevêtrement de charpentes marines, la Vierge du Cap est incapable de la moindre manoeuvre.
Pendant une vingtaine de jours, le navire est immobilisé tandis que s’affairent les charpentiers. La majorité de l’équipage est à terre ainsi que le vice-roi et l’archevêque qui bénéficient tous deux de l’hospitalité du gouverneur.
Le 26 avril 1721, deux voiles sont aperçues à l’horizon. Prévenu et en proie à un sombre pressentiment, le comte d’Ericeira regagne en hâte la Virgen de Cabo avec une demi-douzaine de compagnons. Les deux navires arborent le pavillon britannique. La foule se masse sur la plage de Saint-Denis tandis que les intrus se rapprochent. Arrivés à portée de tir, les deux navires hissent le pavillon noir.
Ce sont en effet des pirates, comme le craignait le comte d’Ericeira, et pas n’importe lesquels.
Le premier navire est l’ex-Cassandra capturé de haute lutte sur les Anglais, lors du combat d’Anjouan. Il a été rebaptisé en Fantasy par le capitaine John Taylor, son nouveau commandant ; il est armé de 38 canons et compte 280 hommes d’équipage.
Le second navire, le Victorieux est dirigé par l’associé de Taylor, le Français Olivier Levasseur, dit La Buse. Il y a 36 canons et 200 hommes à bord. Face à ces prédateurs maritimes, il n’y a qu’un bateau à l’ancre, servis par une poignée de marins : le gros de l’équipage est en effet mêlé à la foule sur la plage et ne peut qu’assister impuissant à la tragédie qui s’annonce.
Les pirates ouvrent le feu ; galvanisés par le comte d’Ericeira, les Portugais répliquent. Ce qui devait s’annoncer comme une victoire facile devient un combat acharné. Taylor décide d’en terminer et tente l’abordage ; les hommes du comte d’Ericeira accueillent les assaillants à coups de mousquets, de pistolets, de haches et de sabres et les repoussent malgré leur supériorité numérique. Le Fantasy s’éloigne et les échanges de bordées reprennent. Â bord de la Vierge du Cap, la situation est désespérée et les munitions viennent à manquer. La mort dans l’âme, le vice-roi doit admettre sa défaite et il fait amener son pavillon.
Les pirates découvrent alors le butin du Vice-Roi de Goa, de l’Archevêque et des prêtres revenant des Indes. Olivier Levasseur, capitaine du Victorieux prend dès lors le commandement de la Vierge du Cap. Il descend à terre et déclare le comte Ericeira, vice-roi de Goa son prisonnier. Le pirate exige une rançon pour la libération du vice-Roi. Le gouverneur de Bourbon, refuse de payer. La Buse ayant pris en sa possession le trésor de la Vierge du Cap dont une croix incrustées de plus de dix kilogrammes de diamants laisse finalement libre le Vice-roi sans aucune rançon.
Depuis le port de Saint Denis, le Vice-roi assiste à la prise du commandement de son propre vaisseau. Après la prise, La Buse prend en remorque la Vierge du Cap, tandis que Taylor plus rapide, gagne la rade de Saint Paul. Olivier Levasseur après être passé devant la Ravine à Malheur à faible allure rejoint Taylor 4
jours plus tard.
Le 30 avril en fin de journée, le Victorieux et le Cassandra attaquent et prennent le Ville d’Ostende en Rade de Saint-Paul. Après cette nouvelle prise ils reprennent la route vers l’île Sainte Marie à Madagascar.
En décembre 1721, John Taylor et Olivier Le Vasseur prennent et incendient le navire la Duchesse de Noailles, un vaisseau de ravitaillement des Mascareignes en vivre et esclaves. La colère du Gouverneur de Bourbon envers les pirates n’en fut que renforcée.
25 janvier 1724, le pirate, John Clayton, donne des nouvelles du célèbre pirate Olivier le Vasseur dit La Buse, celui-ci demande au Gouverneur Desforges Boucher la clémence accordée aux pirates, charte de clémence offerte par le Roi de France.
7 juillet 1730, le capitaine pirate Levasseur, dit la Buse est exécuté. Capturé à Madagascar, dans la baie d’Antongil en avril 1730. Il s’est simplement jeté dans la gueule du loup en montant à bord du navire de la Compagnie des Indes chargé de l’interpeller, La Méduse du commandant D’Hermitte. Quand la Méduse aborde, La Buse s’imagine oublié, rangé des navires, amnistié de fait. Il n’en est rien. Jeté aux fers, il est débarqué à Saint-Denis où il est reçu par le gouverneur Pierre Benoît Dumas.
Le nouveau gouverneur tient à tourner une page d’histoire en mettant à mort la dernière grande figure vivante de la piraterie. Le 7 juillet jugé notamment pour l’abordage de la Vierge du Cap en rade de Saint-Denis en 1721, La Buse est condamné à la potence. La sentence fut exécutée le 7 juillet 1730 à 17 heures. On lui tend une torche qu’il est censé tenir à la main en demandant pardon au roi, Olivier Le Vasseur dédaigne ce chandelier incongru, et jette à la foule le parchemin qu’il gardait serré dans sa main et il hurle » A celui qui découvrira mes trésors ! Le cadavre resta sur le gibet pendant 24 heures, puis exposé au bord de la mer. La Buse fut inhumé à Saint-Paul.