Quand la baie de Diego abritait une république idéale
Après avoir épousé des parentes de la reine d’Anjouan, le pirate Misson et son ami prêtre Caraccioli fondent une république égalitaire. Misson est nommé Lord Conservateur! L’esprit de piraterie flotte encore sur les terres…
Les pirates ont toujours fasciné les enfants et les adultes! Il n’en est pour preuve que le succès planétaire et répété du film ´Les Pirates des caraïbes’!
Mais Diégo est le cadre de la plus belle histoire de pirates de tous les temps: L’aventure fabuleuse de ‘Libertalia’
L’histoire
Racontée, pour la première fois, dans l’Histoire générale des plus fameux pirates, publiée entre 1724 et 1728 par le Capitaine Johnson, elle relate les aventures du pirate Misson, petit noble provençal, et de son ami Caraccioli, prêtre italien défroqué.
Poussés par leur goût de l’aventure, les deux hommes s’engagent sur le vaisseau ´La Victoire’ qui se rend aux Antilles. Au cours d’un combat contre les Anglais, les officiers sont tués et Misson prend le commandement du bateau, secondé par son ami Caraccioli. Se consacrant désormais à la piraterie, ils arrivent un jour à Anjouan où ils vont s’allier à la reine, en butte aux attaques du sultan de Mohely. Misson épouse la soeur de la reine, Caraccioli, sa nièce.
Continuant leurs aventures, ils s’emparent, en face du Mozambique, d’un navire portugais chargé d’or. Durant l’assaut, Caraccioli perd une jambe.
Ils arrivent enfin à Diégo-Suarez où séduits par les possibilités que leur offre la baie, ils décident de s’installer et de créer une république démocratique et égalitaire.
Fondation de Libertalia
Avec l’aide de 300 hommes fournis par la reine d’Anjouan, Misson et Caraccioli construisent, au fond de la baie des français une ville qui va accueillir non seulement les pirates mais tous ceux qui voudront se joindre à eux: équipages des bateaux arraisonnés, esclaves libérés, voyageurs capturés qui adhéreront aux principes de la nouvelle république.
La ville est baptisée Libertalia, ses habitants se donnant le nom de ´liberi’.
Lors d’une nouvelle course en mer, Misson se heurte à un autre vaisseau pirate, celui du Capitaine anglais Tew: le combat est sur le point de s’engager mais finalement les deux hommes vont conclure un accord et Tew va se joindre à l’aventure de Libertalia.
Les principes de la République de Libertalia
Caraccioli enseigne aux habitants de Libertalia, hommes de tous les milieux et de toutes les nationalités, les lois de l’égalité entre les hommes, de l’exigence de la liberté, de l’illégitimité de l’esclavage et de la peine de mort.
On ne tombe pas pour autant dans l’anarchie:
Caraccioli fit éloquemment l’éloge de l’ordre.
Le pouvoir reste dans les mains des fondateurs: Misson est nommé ´Lord Conservateur’, Caraccioli est Secrétaire d’Etat, Tew, Amiral. Les hommes les plus instruits forment un Conseil qui édicte des lois. Si les prises sont équitablement réparties, la propriété privée n’est pas supprimée: les terres annexées dorénavant seraient tenues pour propriété inaliénable.
D’ailleurs les idées généreuses des ´philosophes’ de Libertalia sont parfois mises en défaut: c’est ainsi que Misson et Tew capturent un vaisseau allant à La Mecque avec 1600 personnes à bord: débarquant les passagers, ils gardent une centaine de jeunes filles, destinées aux habitants de Libertalia!
La fin de Libertalia
La colonie fut détruite dans des circonstances obscures: alors que les rapports avec les indigènes du voisinage semblaient sereins, Libertalia fut attaquée une nuit par deux bandes armées : Caraccioli fut massacré avec la plupart des habitants, Misson put s’échapper mais trouva la mort dans un naufrage. Quant à Tew, absent au moment de l’attaque, il mourut plus tard dans un combat naval en mer Rouge.
Suzanne Reutt (Ass Ambre)
Une histoire…imaginée par l’auteur de Robinson Crusoë
L’histoire de Libertalia a fait rêver et continue à faire rêver écrivains, penseurs et aventuriers.
Par son mélange d’aventure, d’idéalisme, d’exotisme, elle a tout pour séduire les âmes généreuses.
Cependant – et cela brisera le coeur de certains- il est vraisemblable que la cité idéale de la baie des français n’a jamais existé.
Pendant longtemps, son existence n’a pas été mise en doute, mais on sait de façon à peu près certaine maintenant que le Capitaine Johnson n’était autre que Daniel Defoe, auteur de Robinson Crusoë. Ce dernier aurait inventé de toutes pièces cette histoire pour exprimer sa critique des institutions politiques et religieuses de son époque.
Et, en fait, la réalité des évènements repose uniquement sur le récit de l’Histoire générale des Pirates: aucun document de l’époque, aucune archive, aucun vestige archéologique ne vient appuyer la possibilité de l’existence de Libertalia qui continue cependant à vivre dans l’imaginaire des nombreux écrivains qui ont repris l’histoire de Missson et de Caraccioli, comme Le Clézio, Vaxelaire, Le Bris et d’autres encore. Ou dans les rêves des nostalgiques qui viennent à Diégo tenter de retrouver le souffle, l’ardeur et la générosité de ces pirates au grand coeur.
Cité imaginaire, Libertalia a laissé cependant des traces rares mais bien réelles dans la vie antsiranaise.
En fait, la découverte de l’histoire de Libertalia par les habitants de Diégo est assez récente.
Elle est révélée aux Antsiranais par un article paru dans ´Madagascar Illustré’, puis reprise par L’Eclaireur de Diégo-Suarez dans ses numéros de novembre et décembre 1937. Ecoutons notre ami Mortages: « Je me disais: Comment! Voilà 41 ans que tu es à Diégo et tu n’as jamais lu ni entendu parler de cette histoire-là! ». Et cependant, l’endroit indiqué où avait été fondée cette ville était un des lieux favoris pour la chasse, mais aucun vestige en surface n’en décelait la présence.
Puis Libertalia devint «la légende du Nord»: un restaurant à Antsiranana, un hôtel à Nosy-Be rappellent la fabuleuse aventure. Un festival en a repris le nom.
La toponymie de la baie rappelle aussi la légende: la Baie des Français, la Montagne des Français furent nommés par le voyageur Leguevel de Lacombe qui avait lu le récit du Capitaine Johnson.
Mais ces souvenirs ne sont pas très abondants: Olivier Bleys dans sa Chronique de Madagascar, écrivait en 2003: «J’ai l’impression d’assister à la formation d’un trou de mémoire, à la disparition corps et bien d’un rêve aussi beau qu’improbable».
Dans les rares magasins de souvenirs de la ville, pas un T.shirt, pas une carte postale ne rappelle la présence ici des corsaires au grand coeur…
Peut-être est-ce simplement parce qu’il n’y en a jamais eu?…
Consolons-nous en pensant que Madagascar a toujours représenté un rêve de bonheur et d’évasion: Les animaux en quête de liberté du film ´Madagascar’ sont là pour nous le rappeler!
Suzanne Reutt (Ass Ambre)